Chronique

Manfred sera-t-il longtemps patient ?

Le retour des Expos à Montréal est impossible sans nouveau stade à deux pas du centre-ville. Oublions le Stade olympique, le baseball majeur ne s’y établira pas, sauf comme solution temporaire. L’époque n’est plus à ces vastes constructions multifonctionnelles où l’immensité des lieux enlève toute illusion d’intimité.

Les équipes misent plutôt sur des demeures moins spacieuses qui, au-delà des sièges habituels, offrent plusieurs façons d’assister à un match : loges d’entreprise, fauteuils de luxe, bars et restaurants avec vue sur le terrain… Les aménagements doivent correspondre aux besoins spécifiques des nombreux segments de la clientèle.

Les amateurs n’ont pas tous les mêmes besoins ou les mêmes goûts. Des jeunes gens venus en groupe, par exemple, auront d’autres attentes que les fans avec une carte de pointage en main. La diversité de l’offre est encore plus importante au baseball, un sport où on peut jaser tranquillement en suivant l’action.

C’est en proposant des concepts porteurs, capables d’attirer une clientèle nombreuse et variée, qu’une organisation maximisera ses revenus.

Peu importe le stade auquel rêvent les promoteurs du retour des Expos, le commissaire Rob Manfred leur a rappelé cette semaine les paramètres entourant son financement et sa construction. Pas en s’adressant directement à eux, mais en écrivant une lettre aux autorités de Tampa Bay, dont la tentative de bâtir un nouvel édifice pour les Rays s’est transformée en échec.

Dans ce texte publié par de nombreux médias, Manfred énonce les critères essentiels à la réussite du projet à Tampa Bay. Cette feuille de route, avec des ajustements de circonstances, s’applique au dossier de Montréal.

L’élément le plus important est d’adopter un « plan de financement réalisable », aux composantes « précises et claires ». Les sommes investies par les secteurs privé et public doivent être fermement engagées et un plan visant à compenser toute mauvaise surprise financière doit être élaboré.

Il faut aussi adopter un échéancier réaliste pour finaliser toutes les étapes et déterminer avec certitude une date où les travaux seront terminés. Pour cela, on doit s’assurer qu’aucun obstacle ne provoque de délais importants, notamment à propos des autorisations requises.

On dira que tout cela tombe sous le sens et c’est vrai. Il n’empêche que ça illustre la somme de travail qui attend les promoteurs montréalais. Les projets de cette ampleur ne se concrétisent pas en un tournemain. Chaque élément nécessitera des heures de négociations. Et en analyse finale, il faudra que l’argent soit véritablement sur la table. On parle ici de plusieurs centaines de millions de dollars.

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Comme tous les commissaires des sports professionnels nord-américains, Manfred veut laisser un héritage. Ses déclarations depuis son arrivée à la tête du baseball majeur en 2015 font comprendre que l’ajout de deux équipes contribuerait à le faire.

Avant de lancer cet ambitieux chantier, Manfred veut résoudre deux dossiers qui traînent depuis des années : la construction de nouveaux stades pour les Athletics d’Oakland et les Rays. Si le premier dossier avance, le second fait du surplace. Le projet de construction envisagé à Ybor City, un quartier de Tampa, a été abandonné mardi.

Le bail des Rays au Tropicana Field, où ils peinent à attirer des spectateurs, vient à échéance en 2027, rappelle le Tampa Bay Times. Cela signifie que l’équipe aura besoin d’un nouveau domicile l’année suivante. Mais le commissaire est-il prêt à attendre si longtemps avant que l’affaire soit réglée ? Ce dossier l’embête depuis son entrée en poste. Et aucune solution concrète n’est en vue. Un chroniqueur de ce quotidien écrivait hier que la collectivité n’était pas encore assez « désespérée » pour que le projet aboutisse.

Le propriétaire des Rays, Stuart Sternberg, assure que ce recul ne change en rien ses intentions : il veut travailler en fonction du maintien à long terme des Rays dans cette région de la Floride.

Le groupe de Stephen Bronfman doit néanmoins se tenir prêt. La possibilité d’un transfert des Rays est envisageable. Manfred n’est sûrement pas emballé à l’idée que son projet d’expansion demeure bloqué quatre ou cinq années supplémentaires, dans l’espoir – et non pas l’assurance – qu’une solution soit trouvée à Tampa Bay. Après 10 ans de palabres, il est en droit de s’interroger sur la volonté du milieu de mener l’affaire à bien.

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Dans le contexte actuel, les promoteurs montréalais doivent établir leur projet comme la meilleure option si un transfert d’équipe devient inévitable.

Bien sûr, pas question de bâtir un stade avant d’avoir la certitude d’obtenir un club. En cas d’urgence, le Stade olympique fera l’affaire le temps qu’un nouvel édifice soit construit. Mais si le modèle de financement est trouvé et si la collaboration entre l’hôtel de ville, le gouvernement du Québec et le groupe de Bronfman est solide, le baseball majeur en prendra acte.

D’autres défis devront être relevés. Parmi ceux-ci, convaincre les propriétaires d’équipe que les Expos 2.0 contribueront à l’essor financier des ligues majeures plutôt que d’être un boulet. Pour cela, il faudra garantir que les revenus aux guichets seront au rendez-vous et qu’un lucratif contrat de télévision local sera signé. De belles promesses ne suffiront pas.

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L’abandon du projet de nouveau stade à Tampa Bay encourage tous ceux qui rêvent aux Expos 2.0. Cette réaction est compréhensible, puisqu’il confirme la fragilité des Rays.

Mais attention : si le propriétaire des Rays se montre réellement patient afin d’assurer l’essor de son club en Floride, et si Manfred appuie cette approche, la recherche d’une solution viable pourrait s’étirer dans le temps et retarder une éventuelle expansion du baseball majeur.

En attendant le prochain épisode, Montréal doit patienter. On saura avant longtemps si le baseball majeur croit vraiment à l’avenir des Rays à Tampa Bay.

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